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mercredi 21 novembre 2007

Gunzig et Schreuer : la démagogie au service de la raison

[Avec une opinion dissidente de Xime à la fin de ce billet :P ]

Ils les ont tous deux traités de "bande de cons" et ils n'avaient pas tort. Chacun de leur côté (le second s'inspirant des propos du premier), Thomas Gunzig et François Schreuer ont, le temps d'une chronique, pratiqué le poujadisme (on n'est pas loin du "tous pourris !") pour ramener les négociateurs et autres perturbateurs de l'orange bleue à la raison : cessez immédiatement vos petites querelles politiciennes pour enfin vous élever au rang d'hommes et de femmes responsables !

En effet, que l'on soit belgicain ou pas, on pouvait vraiment ressentir un fameux ras-le-bol depuis le vote sur BHV en voyant tout ce petit personnel politique se tirer dans les pattes pour des raisons électoralistes qui n'ont normalement rien à voir avec des négociations gouvernementales. Fort heureusement, il est probable que les protagonistes de l'orange bleue ont senti ce ras-le-bol monter (il aurait été dommage de perdre des électeurs dans l'aventure) et qu'ils ont donc décidé de siffler (provisoirement ?) la fin de la récréation pour faire rentrer les gamins et les gamines en classe orange bleue.

C'est précisément ce ras-le-bol que ces deux intervenants ont souhaité exprimer; L'un (Gunzig) dans une version plus belgicaine que l'autre, mais, sous des dehors folkloriques, la description qu'il fait des vertus de notre grande nation passe nettement mieux, il faut bien le dire.

- le billet de François Schreuer.

- l'intégrale de la chronique de Thomas Gunzig à la Semaine Infernale (La Première) du 8/11 :
(version audio disponible sur le blog de Damien Van Achter - merci pour son touchdown ^^)

Bande de cons !
Pas vous, cher public !
Les autres, les formateurs, informateurs, explorateurs, chef de groupe, président de partis flamands, présidents de partis francophones, seconds couteaux, troisièmes couteaux, de gauche, de droite, les cathos, les écolos, les libéraux...
Bande de cons de Flandre
Bande de cons de Bruxelles
Bande de cons de Wallonie.

-> Lire la suite sur le blog de Thomas Gunzig...


Opinion dissidente de Xime :

Pas tellement dissidente par rapport à ce que dit généralement Francky, mais plutôt en réaction à ce qui ressort du texte de Gunzig (que j'aime beaucoup lire par ailleurs, mais que je ne cautionne pas du tout sur ce coup là), et qui aurait dû
, il me semble, conduire mon cher collègue à fustiger ce pamphlet plutôt qu'à l'encenser :)

Parce qu'il a bon dos, l'humour, mais qu'à force de s'en servir comme alibi 'faudra pas s'étonner s'il finit avec une lombalgie ;

Parce que j'ai beau être souvent navré par notre classe politique, je ne suis pas sûr que la population n'ait pas les représentants qu'elle mérite ;

Parce que quand je jette un oeil sur les résultats des dernières élections, j'ai du mal à croire à cette fable selon laquelle la population flamande n'en a rien à secouer des revendications nationalistes, que c'est encore un coup des politichiens qui pervertissent le bon peuple, etc. ;

Parce que laisser entendre que les deux camps sont tout autant dans le tord, c'est faire une application un peu caricaturale du jugement de Salomon (alors qu'à la fin, le bébé reste en un seul morceau !) pour ne pas avoir à se prononcer sur le fond du conflit ;

Parce que tous les négociateurs de l'orange bleue ne sont pas inconséquents et irresponsables ;

Parce que la crise actuelle est en partie le résultat prévisible d'une grossière erreur lors de la fédéralisation de l'Etat, la scission des partis nationaux ;

Parce que, surtout, le problème linguistique belge est tout sauf un problème simple, même si, charriant avec lui son lot de crises absurdes, de bassesses affligeantes et d'incompréhension généralisée, il est naturel qu'il suscite l'exaspération ;

Parce que, si on peut comprendre que le ras-le-bol pousse à ce genre de discours démagos, on ne doit pas pour autant l'excuser.


Cette opinion paraîtra sans doute fort politiquement correcte, mais quand on commence à perdre le sens de la nuance c'est le début de la fin (Je n'explicite pas ma conclusion de peur de franchir le point Godwin...).
D'ailleurs je ne sais pas si c'est fait exprès, mais le titre de ce billet est délicieusement oxymorique !


(Merci à Cab d'avoir fait mûrir mon avis à ce sujet)

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mardi 13 novembre 2007

Les oiseaux de croissance



(Ce billet inaugure une série d'articles de fond moins directement liés à l'actualité et un peu plus réflexifs qu'à l'accoutumée)

D'abord, un poème :


" Oh ! vie heureuse des bourgeois ! Qu'avril bourgeonne
Ou que décembre gèle, ils sont fiers et contents.
Ce pigeon est aimé trois jours par sa pigeonne ;
Ca lui suffit, il sait que l'amour n'a qu'un temps.

(...)

Et tous sont ainsi faits ! Vivre la même vie
Toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux
Ce canard n'a qu'un bec, et n'eut jamais envie
Ou de n'en plus avoir ou bien d'en avoir deux.

(...)
Regardez-les passer ! Eux, ce sont les sauvages.
Ils vont où leur désir le veut, par-dessus monts,
Et bois, et mers, et vents, et loin des esclavages.
L'air qu'ils boivent feraient éclater vos poumons.

(...)
Pour choyer cette femme et nourrir cette mère,
Ils pouvaient devenir volaille comme vous.
Mais ils sont avant tout les fils de la chimère,
Des assoiffés d'azur, des poètes, des fous. "

Les oiseaux de passage, Jean Richepin
(Repris par Georges Brassens)



Et puis une relecture :
Amusant de remarquer comme la valorisation de la liberté d'aller et venir, la mobilité, a perdu son caractère contestataire, émancipatoire, pour devenir précisément un des fondements de l'ordre établi qu'est la société capitaliste. Cette mobilité-là se présente sous l'image assurément sympathique de l'oiseau sauvage, qui va où son désir le veut, assoiffé d'azur, mais cet écran idéologique masque une réalité nettement moins idyllique.

Pour faire court, disons que cette "hypermobilité" rendue possible par les progrès techniques n'est pas seulement critiquable pour ses conséquences sur l'environnement (1). Ces autres conséquences néfastes sont, me semble-t-il, de trois ordres :

- Exploitation : pour que certains puissent être "hypermobiles", il est nécessaire que d'autres restent sur place, "assignés à résidence". On peut alors parler d'exploitation des exclus de la mobilité, puisque le profit généré par la mobilité qu'il rendent possible n'est pas partagé de manière équitable (2). Sans parler de la mobilité des travailleurs, souvent subie par ces derniers sans aucune compensation.

- Désaffiliation sociale : la mobilité semble avoir un effet inversément proportionnel sur la profondeur des rapports humains qu'elle permet. L'homme mobile multiplie les rencontres superficielles, mais perd son ancrage dans un tissu social particulier.

- Déficit démocratique : si le sentiment d'appartenance à une communauté diminue, les démocraties nationales pourraient bien souffrir d'une dépolitisation accrue, ainsi que d'un affaiblissement de la société civile. La tendance serait alors de voter avec ses pieds : Si vous êtes mécontent, il vous suffit d'aller voir ailleurs !


Mais lorsqu'on tient ce genre de discours, on devient rapidement suspect, et on est sommé de se justifier. Quel est ce dangereux liberticide qui crache sur l'émancipation de l'individu, la liberté, le cosmopolitisme ? se demande peut-être le lecteur aux sourcils froncés.

Rassurons-le, ce lecteur. Il est indéniable que le libéralisme, et dans son sillage la théorie économique, ont eu à l'époque des Lumières un rôle salutaire de critique de l'ordre féodal. Mais la dimension critique de ce mouvement s'est finalement épuisée pour se muer en simple légitimation de la société marchande capitaliste (3). C'est exactement ce que je disais plus haut concernant la mobilité. Mais comme on ne dissocie rarement ces deux mouvements, celui qui critique les valeurs de la société capitaliste est bien vite taxé de liberticide. On peut pourtant reconnaître le rôle de ces valeurs dans l'émancipation de l'individu, tout en rejetant leur exacerbation dogmatique.


Pour en revenir à ma relecture (complètement outrancière) du poème de Richepin, les oiseaux de la société mondialisée sont aussi des fils de la chimère, mais est-elle encore le bleu paradis, la lointaine grève ? Ou, bien plus prosaïquement, l'amélioration perpétuelle de leur condition matérielle ?

Aujourd'hui, les vrais sauvages seraient-ils ces "objecteurs de croissance", qui appellent à la relocalisation de l'économie, et à la modération de cette tendance à la mobilité incessante, pour refonder une société basée sur la convivialité ?


____________________________________________________

(1) Je m'inspire ici de la démarche suivie par John Adams dans Hypermobility : Too much of a good thing, RSA, 2001, même si je ne souleverai pas vraiment les mêmes arguments que ceux évoqués dans son article, un peu capillotractés à mon goût... C'est le risque qu'on court quand on fait de la science-fiction :p
(2)cf. L. Boltanski et E. Chiappello,
Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.
(3)Là je me réfère au cours de Ch. Arnsperger,
Philosophie et épistémologie de l'économie, UCL, 2006. Le passage que je résume s'inspire à la pensée de Horkheimer et Marcuse, pour répondre à la question qui donne son intitulé au chapitre : "L'économiste peut-il améliorer la société ?"

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dimanche 11 novembre 2007

- Interruption des programmes -




Et si vous voulez un commentaire intelligent sur la pseudo-scission de BHV, vous n'avez qu'à lire François Schreuer !

(Bientôt sur Eigen blog eerst : un article sans aucun rapport avec la crise communautaire ! Youpii !)

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lundi 5 novembre 2007

Et 148 jours plus tard, la Belgique n'est toujours pas morte


Je dis bien 148 jours (j'ai vérifié :D), même si certains sont déjà à 149 (pas pour rien qu'ils écrivent dans Vers l'avenir, ho ho ho !). Record quasi-battu donc, comme nous le rappellent nos quotidiens (et notamment La libre avec sa une particulièrement moche).

Après des mois de surplace, les négociateurs oranges et bleus entrent enfin dans le vif du sujet : l'institutionnel, et le dossier BHV en particulier. Et le rythme risque bien de s'emballer, avec la pression des parlementaires flamands qui menacent de faire passer la scission en force à la Chambre, par un vote communauté contre communauté. Les scénarios les plus dramatiques circulent à propos de ce cas de figure, et il ne me semble pas inutile de rappeler une chose ou l'autre :

Pour prévenir un tel "fait d'arme", il existe le mécanisme dit de "la sonnette d'alarme" (art. 54 de la Constitution) qui permet aux deux tiers des députés d'un groupe linguistique de bloquer un projet ou une proposition de loi, avant le vote final en séance, s'ils estiment qu'il est de nature "à porter gravement atteinte aux relations entre les communautés". A partir de ce moment, le conseil des ministres a 30 jours pour rendre un avis motivé sur la question. Mais d'après Marc Verdussen (UCL), "Si le gouvernement n'est pas en mesure de jouer ce rôle, parce qu'il est démissionnaire, il paraît logique de vouloir attendre l'arrivée de son successeur".

Pareil pour la procédure en conflit d'intérêt (art 32 de la loi du 9 août 1980), qui est susceptible d'atterrir devant le comité de consultation, composé des exécutifs des différents niveaux de pouvoir, en ce compris le fédéral.

Pas de risque d'une scission unilatérale donc. Par contre, du point de vue politique, il est probable que les conséquences de telles péripéties soient désastreuses : elles risqueraient de ruiner la confiance - mitigée - au sein de orange bleue en gestation, et d'aboutir à la rupture des négociations. Dans ce cas, deux solutions possibles : Soit la recherche, sur base des résultats du 10 juin, d'une nouvelle coalition (une tripartite probablement, voire une coaltion "d'union nationale" associant tous les partis démocratiques, comme le suggère Le Soir de ce matin); Soit de nouvelles élections, dont le résultat serait fort imprévisible en ces temps de crise.

Il semblerait bien que la sensibilisation de la population par le fameux docu-fiction de la RTBF ait un peu trop bien fonctionné... Evitons donc de dramatiser systématiquement : On est encore loin de la fin de la Belgique qu'on nous prophétise chaque jour depuis plus d'un an. Il existe des procédures pour résoudre les conflits entre communautés, et l'échec de l'orange bleue pour déstabilisant qu'il pourrait être, ne sonnera pas nécessairement le glas du dialogue entre les deux communautés.



Donc, De Wever est coupable, mais son avocat vous en convaincra mieux que moi !





('faudrait que j'arrête de finir tous mes billets en citant du Desproges moi :p)

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jeudi 1 novembre 2007

Triste fin pour Humeur Allochtone

L'excellent blog de Mehmet Koksal a vécu. J'ai appris la nouvelle ce matin, par l'intermédiaire de sa newsletter. Mehmet a décidé d'arrêter de rédiger des billets sur son blog expliquant que "la situation est devenue intenable : menaces et insultes, pressions familiales (...)".

Pour ceux qui ne le connaîtrait pas, Mehmet Koksal est un journaliste indépendant bruxellois d'origine turque qui rédige depuis 2003 sur son blog Humeur Allochtone des billets sur l'actualité des communautés d'origine étrangère (principalement) bruxelloises.
Comme il me l'avait récemment avoué dans une interview qu'il m'avait très gentillement accordé pour les besoins du projet "voice of migrants", Mehmet est quelqu'un qui aime mettre le doigt "là où çà fait mal". (d'où, comme nous l'avions regretté, son "goût parfois immodéré pour le scandale")
En l'occurrence, il évoquait souvent la question du génocide des arméniens, du Kurdistan ou encore des nationalistes turcs présents sur les listes électorales des principaux partis belges. Bref, autant de questions qui fâchent dans et en dehors de la communauté turque de Bruxelles (Philippe Moureaux est par exemple l'un de ses plus grands détracteurs); ce qui lui vaut aujourd'hui d'être la proie des nationalistes turcs pour qui notre courageux investigateur n'est autre qu'un "traite à la patrie".

En somme, pris dans cet engrenage qui a pris une autre dimension depuis les récentes émeutes turquo-bruxelloises dans lesquelles il avait été pris à tabac et visiblement découragé par une certaine incompréhension autour de son message, Mehmet a logiquement préféré jeté l'éponge, au nom de la sérénité des siens.

A la lecture de cette annonce, j'ai été d'abord sincèrement attristé pour lui (que je sais si passionné par ce qu'il fait) mais aussi en tant que lecteur qui a pris tellement de plaisir à lire ses enquêtes toujours fouillées mais aussi ses nombreuses anecdotes.
De plus, j'ai été interpellé par ce qui m'apparaît là comme un signal d'alarme pour nos démocraties : il y a là un journaliste qui est contraint de se taire pour échapper à des intimidations et à des menaces de la part d'individus que personne dans le milieu politique semble désavouer...
Enfin, j'étais aussi déçu pour les communautés d'origine étrangère de notre pays en général qui, grâce à ce genre de personnalités, ont l'occasion d'entamer un dialogue (assez indispensable) avec ce que Mehmet appelle la "société belgo-belge mainstream". A ce titre, Humeur Allochtone est comme une étoile qui s'est éteinte...dont l'auteur était un fils de l'immigration qui voulait construire une société interculturelle basé sur un échange honnête entre ses composantes.
Avec ce qui lui arrive, on voit qu'on est très loin de cette société inter-culturelle...et c'est probablement cela qui a convaincu Mehmet de mettre logiquement fin à ses activités blogesques.

Oui, on pourra toujours faire des reproches à Mehmet Koksal en disant qu'il aurait dû peut-être parlé plus de choses positives comme les fameux "bons exemples d'intégration" mais, en toute hypothèse, je tiens à remercier ici Mehmet pour son dévouement (bénévol !) par l'intermédiaire de son blog, pour son audace et pour les valeurs d'échange et de tolérance qu'il prône.

Même si c'est une page importante qui se tourne pour lui depuis qu'Humeur Allochtone n'est plus, espérons qu'il puisse continuer à agrémenter nos quotidiens de ses coups de gueule et autres analyses pertinentes...

Le Soir et La Libre, vous connaissez Mehmet Koksal ?

http://allochtone.blogspot.com

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