Ni l'un ni l'autre, probablement. Mais une chose est sûre, Philippe Courard ne laisse plus personne indifférent.
Après une semaine marquée par les accusations et autres noms d’oiseaux échangés entre lui et d’éminents membres d’autres formations politiques, les médias et le petit monde politique francophone sont largement revenus sur le sujet.
Fort de ces analyses parfois très éclairantes, c’est désormais à nous de nous pencher sur le « phénomène » et de nous demander, le plus objectivement possible, ce que vaut cet homme hautement contesté.
En un an au gouvernement wallon (2003-04), « Phil le bosseur » va considérablement accroître sa popularité, à la faveur d’une communication très soignée et d’un style hors du commun dans le paysage socialiste wallon –ni hennuyer, ni liégeois ; ni parvenu, ni « Philippe couche toi là »-. Le résultat est presque imminent, aux élections régionales de 2004, c’est banco : 15.600 voix de préférence et le PS devance –fait historique- le CDH en province de Luxembourg. Aux félicitations de circonstance succède une nomination à la tête du ministère wallon des affaires intérieures et des Pouvoirs Locaux, un des postes les plus stratégiques étonnamment occupé sous la législature précédente par le libéral Charles Michel.
Courard pense qu’il pourra tranquillement continuer sur sa lancée en diffusant l’image d’un ministre travailleur, sympathique et compétent. C’était bien sûr sans compter les célèbres affaires (carolorégiennes, namuroises…) qui vont éclater à répétition dès septembre 2005.
Le gaillard comprend qu’il devra jouer, comme dirait Le Soir, à « Monsieur Propre» en alignant les réformes mais sans pour autant se montrer –on ne change pas une formule qui gagne- d’une fermeté exemplaire qui l’aurait obligé à sortir souvent sa g...
Le travail et le consensus restent ses maîtres mots. Peut-on néanmoins parler de travail bien fait ? S’il l’on s’en réfère aux propos d’un receveur communal relayés par Le Soir, c’est loin d’être le cas puisque de nombreuses dispositions effectivement prises non pas été suivies de leurs arrêtés d’exécution. Etait-ce uniquement des effets d’annonce ? Poser la question, c’est presque y répondre.
Par contre, on peut identifier la réforme du Code de la démocratie locale comme sa grande réalisation en tant que Ministre de l’Intérieur et des Pouvoirs Locaux. Pour rappel, cette réforme consacrait principalement l’élection directe du bourgmestre dans les communes wallonnes. Pour émettre un jugement à ce propos, nous dirons que cette évolution était effectivement souhaitable du point de vue démocratique (en ce qu’elle permet d’éviter les nombreux arrangements pré et post électoraux sur le nom du bourgmestre) mais pas nécessairement la plus urgente à mettre en œuvre dans le contexte d’affaires de mauvaise gouvernance et autres « pratiques d’extrême droite » -comme qui dirait- auxquelles nous avons eu et nous avons toujours affaire en Région Wallonne.
Assez récemment, probablement sous peine d’apparaître au grand jour comme un homme faible, notre vaillant ministre s’improvise Grande Gueule du Gouvernement wallon.
Première victime, l’ex-échevin carolo Lucien Cariat pour lequel il réserve ces mots doux: " le système Cariat est fait d’une volonté de s’enrichir, d’incompétence grave, de désir de pouvoir absolu ».
Deuxième victime : Van Cau himself, qu’il appelle à faire « un pas de côté » en démissionnant de l’Union Socialiste Communale de Charleroi, et pour lequel il indique qu’il s’opposera personnellement à ce que l’homme fort du PS carolo joue les « belles-mères » du prochain Collège échevinal.
Troisièmement : les ex-conseillers communaux de l’opposition (essentiellement) à Charleroi (MR, ECOLO et, dans une nettement moindre mesure -majorité à la Région oblige- CDH). Il indique à plusieurs reprises que ceux-ci sont aussi responsables des dérives constatées en ce qu’ils nous pas prévenu le ministre de tutelle s’ils constataient quelque chose.
Alors que ces deux premières victimes avaient été des mandataires de son propre parti et qu’il semblait donc qu’il considérait à cet égard assez objectivement le parti socialiste comme principal responsable des graves dérives constatées à Charleroi, pourquoi s’est il attaqué tout d’un coup à l’opposition carolorégienne ?
Très probablement pour répondre aux accusations qui se faisaient régulières sur ses manquements en terme de pouvoir de tutelle sur les communes. Sont à considérer à ce propos les accusations du bourgmestre MR de Libramont Pierre Arnould selon lequel « Courard est aussi coupable » de l’annulation de quatre marchés publics pour confusion d’intérêts dans sa commune, et celles d’Olivier Chastel (MR) qui n’hésitera pas à dire que « Courard a été inefficace et incompétent » (Le Soir, 30 novembre 2006).
L’on sait tous depuis lors quelles ont été les conséquences de ces propos pour le moins maladroits de Courard ; empoignades verbales à la télévision et interventions des présidents de partis. Voilà qui cadrait parfaitement dans la « gueguerre » que se livrent actuellement PS et MR.
L'on retiendra néanmoins ce propos tout aussi extrême d’un autre homme pas coutumier (quoique…) de ce genre de parler. Dimanche sur la Radio télévision luxembourgeoise, Didier Reynders parlait de « pratiques d’extrème droite » et d’une « mauvaise foi crasse » dans le chef de Philippe Courard.
On peut admettre le second propos – la mauvaise foi de Courard – au vu de la manière dont il a exprimé son opinion sur l’opposition à Charleroi ; par contre, après une semaine de réflexion, nous ne voyons toujours pas où est l’aspect d’ « extrême - droite » dans les propos attaqués.
Il s’agissait tout de même de quelqu’un qui en appelait au fond à l’importance du rôle de l’opposition dans ce genre de contexte alors même que l’extrème-droite ne reconnaît en rien un tel rôle à l’opposition puisque celle-ci n’a tout simplement pas droit au chapitre.
On pourrait distinguer ceux qui ont « vomi » les considérations du ministre sur l’opposition carolorégienne de ceux qui estiment qu’il n’a peut être pas tort.
Parmi ceux qui ne veulent plus entendre parler de Philippe Courard, il y a bien sûr les ténors de ladite opposition carolo, j’ai nommé Olivier Chastel et Jean-Marc Nollet. L’un et l’autre ont tenu à souligner qu’ils avaient travaillés d’arrache-pied dans l’opposition mais souvent en vain, la faute aux réponses toujours plus courtes du Collège des Bourgmestres et Echevins à leurs questions. Chastel se félicite néanmoins –quelle surprise !- d’avoir été à la base des révélations relatives à la société de logement « la Carolorégienne » tandis que Nollet indique –preuve à l’appui- que son collègue écolo Marcel Cheron a interpellé le Ministre au Parlement à propos du problème des fonds de pension à Charleroi et que celui-ci lui a répondu dans la plus pure tradition du Collège carolo, c’est-à-dire en quelques lignes pour ne rien dire.
Mais il y a aussi le cas de Christine Dartevelle, une conseillère communale PS sortante de Charleroi. Dans le Soir du 6 décembre (Le Soir, 6 décembre 2006, page 19), celle-ci livre un témoignage extrêmement intéressant à ce propos puisqu’elle a connu à la fois l’opposition -15 ans- et la majorité pendant 6 ans en tant que candidate d’ouverture.
Fort de cette expérience, Madame Dartevelle veut montrer au Ministre qu’il a eu tort de s’exprimer ainsi sur l’opposition carolorégienne. Celle-ci, d’après elle, n’est pas resté inactive mais a été victime d’un système bien huilé de muselage de la part de l’appareil socialiste en place. En plus de menaces et pressions qui planaient sur les élus qui osaient mettre leur nez là où cela sent mauvais, elle dit même qu’il s’agissait de montrer son bulletin de vote à son voisin lors d’un vote secret en séance publique. Comme beaucoup, elle estime que c’est avant tout une certaine façon de faire de la politique qui est à condamner dans le cas de Charleroi.
Ceci dit, dès dimanche soir, Philippe Courard mettait de l’eau dans son vin et répétait à qui veut l’entendre que, s’il identifiait en effet une responsabilité de la part de l’opposition en ce qu’elle n’aurait pas assumé sa mission de contrôle, cette responsabilité n’était que minime par rapport à celle du Collège et donc du PS. Voilà qui est bien plus audible…et qui n’est peut être pas si faux malgré ce que certains ont bien voulu en dire.
Pour penser cela, il faut se référer aux (bonnes ?) paroles du journaliste d’investigation DidierAlbin ( D. ALBIN, « Le séisme », éd. Luc Pire, 2006).
Dans son ouvrage largement relayé dans le dernier Journal du Mardi (JdM du 5 au 11 décembre 2006, page 11), celui-ci revient à plusieurs reprises sur l’importance de la Loge de la Charité à Charleroi. Selon ses dires, il n’y a personne pour parler de cette Loge alors qu’elle pourrait bien être, entre autres, l’explication de « certaines complaisances, certaines passivités – y compris d’une partie de l’opposition- à l’égard de la galaxie Van Cau ». Pour étayer son propos, Albin nous confirme que Chastel et Van Cau font bien tout deux parties de cette confrérie de francs-maçons dans laquelle, de l’aveux de certains membres, l’on se rend bien des services. Alors, ne peut on pas penser que certains services n’ont pas été rendus par le membre Chastel à son frère Van Cauwenberghe et réciproquement ? Certes, les deux francs-maçons ont été un bon moment « en froid » (probablement la preuve que Chastel a vraiment dû jouer un rôle d’opposition) mais, de l’aveu même de Van Cau, leurs rapports sont redevenus excellents.
Vous avez dit malsain ?
La meilleure preuve que le sujet dérange quelque peu la grande majorité des élus carolorégiens est la scène surréaliste de ce long moment de silence après une intervention du même Didier Albin sur le plateau de « Mise au point » relative, justement, à cette Loge. Alors qu’ils s’étaient poussés au postillon (!) auparavant pour placer leur petite pique dans un débat des plus nerveux, aucun de ces éminences politicienne ne s’était proposé pour répondre à la question d’Olivier Maroy relative à cette Loge. Le seul vraiment non concerné, à savoir Jean Jacques Viseur –La loge étant réservées aux libres penseurs-, s’en est finalement chargé.
Bref, à propos de cette critique de Courard, nous nous joignons à ceux qui pensent qu'en effet cette déclaration sentait la mauvaise foi à plein nez, même si le travail d’investigation de Didier Albin est là pour nous prouver qu’il n’est pas exclu de penser que certaines complaisances et passivités peuvent s’expliquer par des relations inavouables entre certains membres de l’opposition et de l’ex Collège carolo.
La faute en revient à Philippe Courard de ne pas avoir justifié, sur le plateau de Mise au point, sa critique au moyen de cet argument de la Loge. On aurait eu alors envie de valider ses critiques…mais une fois de plus, Courard a baissé la tête pour ne pas égratigner l’establishment franc-maçon que l’on sait important au sein de sa formation politique.
Donc, au vu de cette analyse, Monsieur Courard apparaît comme un ministre volontaire, ou du moins que les circonstances ont rendu comme tel, mais beaucoup trop consensuel que pour aller au bout des choses. Lorsque Courard sort du consensus, c’est souvent pour s’attaquer à des « bêtes blessées » comme Van Cau ou Cariat ; histoire de rappeler qu’il peut aussi durcir le ton.
En même temps, on ne peut pas dire que sa seule déclaration réellement osée, à savoir celle sur l’opposition carolo, lui aura donné l’envie de continuer sur cette voie, vu le retour de flamme.
Gageons que le gaillard reviendra vite à un discours bien plus consensuel et à une gestion technique de ses dossiers…comme au bon vieux temps !