Vers des universités d'élite ? L'UCL et son obsession des classements.
Un récent article du journal Le Soir avait fait la part belle aux critiques vis-à-vis de la méthodologie de ces "rankings". Mais plus fondamentalement, je trouve qu'on n' interroge pas assez la logique sous-jacente à ces classements internationaux.
J'illustrerai cette négligence de réfléchir au fond et de remettre en question la position des unifs par rapport à la concurrence internationale par une interview commune des recteurs de l'ULB et de l'UCL, qui parviennent à se contredire complètement à quelques lignes d'intervalle :
Pierre de Maret (ULB) : L'ULB et l'UCL plaident pour un monde plus solidaire. Il faut remettre cette valeur dans le projet universitaire, à une époque où l'on a trop tendance à l'économie de marché et à la concurrence.Bref, tout cela m'a donné une furieuse envie de ressortir de mes cartons un article que j'avais écrit l'année passée pour La Savate, le journal de l'Assemblée Générale des étudiants de Louvain. Evidemment, les constats qui y sont faits restent entièrement valables aujourd'hui...
(...)
Bernard Coulie (UCL) : Après ce classement, nous lançons donc un appel pour qu'on donne les moyens à l'enseignement francophone de Belgique de rester concurrentiel. C'est simple: s'il ne reste pas sur la scène internationale, il deviendra un enseignement de province!
(La Libre, 19 janvier 2005)
Voici donc l'article en question :
Pourquoi l'UCL ne devrait pas se vanter de sa place dans les classements ?
Depuis quelques années, à chaque rentrée académique c'est le même cirque. "Deux universités belges dans le top 100", claironne La Libre Belgique. "L'UCL dans le top 80 des universités", précise La Quinzaine, histoire de rehausser encore un peu la gloire de notre Alma Mater. C'est que l'UCL s'est classé 76e dans le dernier classement du Times Higher Education Supplement.
Dans le monde anglo-saxon, la culture des rankings universitaires remonte déjà à quelques dizaines d'années. Avec les premiers classements internationaux, c'est à notre tour de succomber à la mode des classements… L'année passée pourtant, un rapport du CIUF très critique sur ces rankings expliquait les raisons de « la réserve et la méfiance des universités de la Communauté Wallonie-Bruxelles sur la pertinence et la valeur des classement d'universités ». Méfiance qui n'empêchera pas Bernard Coulie, recteur de l'UCL, de s'extasier en ces termes dans son discours de rentrée : « Notre université fait aujourd'hui partie des très bonnes universités : les classements internationaux la situent dans les 100 meilleures universités du monde, dans les trente ou quarante meilleures en Europe, et dans les vingt meilleures universités complètes. Je veux en remercier et en féliciter tous les membres de l'UCL, et chacun de nous peut être fier de la qualité de notre université. »
Réaction d'un prof de l'UCL: « Ce jour là, j'étais humilié. Se gausser ainsi de notre score dans ce ranking alors que c'était le moment de dire à nos confrères de l'ULB : '' Vous avez perdu 100 places et nous en avons gagné dix, mais l'année prochaine ce sera peut-être l'inverse !''. »
En effet, on peut rester dubitatif quant à la pertinence d'un classement qui présente de telles variations d'une année à l'autre. De 2005 à 2006, la VUB passe de la 259e place à la 133e ; l'ULB passe de la 76e à la 165e place. Les classements à rebondissements sont plus vendeurs dira le cynique. Mais le soupçon se confirme lorsqu'on examine de plus près la méthodologie suivie par les instituts de rankings : biais en faveur des universités anglophones et des sciences dures (les articles dans des revues de sciences dures anglo-saxones sont majoritairement pris en compte pour évaluer la recherche), élimination des institutions de petite taille, importance prépondérante de la recherche par rapport à l'enseignement (60% du poids total), pédagogie pas ou mal évaluée (le critère utilisé est le rapport entre le nombre d'étudiants et le nombre d'enseignants), etc. On le voit, au niveau des critères utilisés, c'est le grand règne de l'arbitraire.
Mais au-delà de ces critiques sur la forme, la question se pose de savoir s'il est sain pour nos universités d'entrer dans la logique des rankings. Logique d'après laquelle il existe une poignée d'« universités d'élite » (le top 10 ou 15) qui attirent les meilleurs professeurs et les étudiants les plus ambitieux, et une multitude d'universités moyennes dont le diplôme est infiniment moins valorisé. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si la folie des classements est née aux Etats-Unis, pays dont le système universitaire connaît un grand dualisme (Harvard, Yale, Princeton… et puis toutes les autres). Ce système ne connaît pas la liberté d'accès et la mixité sociale qui caractérisent notre enseignement supérieur. De plus, dans ce système, l'enseignement supérieur est un grand marché où les étudiants « consommateurs » doivent choisir l'institution qui leur offre la formation présentant le meilleur rapport qualité/prix. Mais l'enseignement n'a-t-il d'autre rôle que celui, instrumental, de fournir un statut social (et la rémunération qui en découle) à ses étudiants ? Oubliées les autres missions de l'Université, telles la formation à la citoyenneté, l'esprit critique, la responsabilité du jugement ?
L'enseignement universitaire belge, qui ne connaît pas de grandes disparités entre les différentes institutions, fait figure d'exception. Sommes-nous sur le point d'y mettre fin? On pourrait le penser, non seulement lorsqu'on voit l'énergie déployée par la grande majorité de nos universités pour améliorer leur score dans le prochain classement, mais également à en croire certaines déclarations d'intentions. Dans son discours de rentrée, le recteur Coulie ajoutait encore : « Nous sommes aux portes de ce qui constituera demain le groupe de tête. Y entrer doit susciter notre enthousiasme et mobiliser nos énergies. C'est l'ambition et la vocation de l'UCL. »
Malheureusement, la tentation restera grande pour nos universités de jouer le jeu des rankings, tant que subsistera le mode de financement actuel « en enveloppe fermée », qui place nos universités dans une situation de concurrence extrême. Pour donner les moyens à nos universités de refuser d'être les esclaves des classements, il faut un refinancement des universités, comme le revendique la FEF depuis plusieurs années. Mais au final, c'est aux recteurs de prendre la décision courageuse de ne pas sacrifier notre conception égalitaire de l'enseignement sur l'autel de la concurrence internationale.
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