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EBE (ancienne adresse): La non-conférence de M. Barroso. Le libéralisme débridé comme rêve européen ?

dimanche 3 décembre 2006

La non-conférence de M. Barroso. Le libéralisme débridé comme rêve européen ?

Le 8 novembre dernier, le président de la Commission européenne a fait l'éreintant trajet Bruxelles-Louvain-la-Neuve pour venir y donner une non-conférence sur le thème : « L’état de l’Union et agenda pour l’avenir de l’Europe ». Pourquoi « non-conférence » ? Parce que ce soir là, on avait l’impression que le thème ne déterminait pas ce dont on allait parler mais plutôt ce dont il ne fallait surtout pas parler. Un peu comme une variante de « ni oui ni non » : « Ni prises de positions, ni paroles concrètes ». Celui qui fut nommé président de la Commission par défaut nous a donc tenu un discours flou mâtiné d’accents libre-échangistes, avec des déclarations du genre « Combien d’universités européennes cherchent sur le marché global les meilleurs étudiants ? ». Ou encore, alors qu’il venait de citer « l’ouverture à l’autre » parmi les valeurs de l’UE : « Mais l’ouverture, ce n’est pas le protectionnisme !! » ; Pendant un court moment nous avions cru que l’ouverture c’était autre chose que le libre marché. Plus affligeant encore : S’il n’avait pas été interpellé sur ce sujet lors des questions du public, le président de la Commission aurait même réussi à ne pas mentionner un des sujets les plus brûlants actuellement pour l’Europe, à savoir la crise institutionnelle suite au rejet de la Constitution.
Fort heureusement, puisque le sujet était sur la table, nous avons pu connaître la recette de M. Barroso pour sortir de l’actuelle crise institutionnelle. Les ingrédients : Il vous faudra une déclaration, une feuille de route, et une dynamique. Préparation : Changez le titre de votre Constitution. Modifiez quelques articles, en édulcorant si nécessaire. Laissez mijoter… c’est prêt ! Servir tiède, de préférence par voie parlementaire. Un régal !

Voilà déjà la recette qui avait été appliquée lors du rejet irlandais du traité de Nice. Avec une petite variante cette fois, puisque ici on fera bien attention à éviter de recourir à nouveau à la voie référendaire. Vous avez dit « déficit démocratique » ? On peut évidemment critiquer la qualité des débats nationaux qui ont précédé les referenda français et néerlandais. N’empêche : Quelle réponse l’Union donne-t-elle à ceux qui la critiquent ? Elle les ignore.

« L’agenda pour l’avenir de l’Europe » ? Barroso a seulement parlé des « objectifs de Lisbonne » (plus que 3 ans pour faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » !). Visiblement, l’Europe sociale n’est pas à l’agenda. C’était pourtant une critique plus que récurrente à propos du traité constitutionnel : l’Europe s’est construite uniquement autour du marché, sans avancée correspondante au niveau social. Résultat ? Le marché commun, surtout depuis l’adhésion des 10 nouveaux états-membres, est la porte ouverte au dumping social. On a pu constater récemment, avec le dégraissage de VW Forest, les conséquences dramatiques de cette concurrence entre travailleurs européens (a l’heure ou j’écris cet article, on parle de plus en plus d’un maintien d’environ 3000 emplois sur le site de Forest, mais « à des conditions compétitives vis-à-vis des usines allemandes ») .

Un grand marché sans minima sociaux, c’est à terme la disparition du modèle de protection sociale élevé dont nous bénéficions encore dans certains états d’Europe de l’Ouest. Mais cela ne semble pas émouvoir ceux qui font partie des institutions européennes, où tout le monde semble partager les mêmes objectifs et priorités. Parmi ceux qui jouent un rôle dans la construction européenne, il n’existe pas de voix dissidente, à ma connaissance, pour dénoncer la tendance libérale de cette sorte d’« establishment européen » où l’on ne plaide que pour « l’ouverture » (au sens Barrosien du terme) des marchés, sans contrepoids en termes de protection sociale. Même Romano Prodi, lorsqu’il était président de la Commission, n’eût aucun mal à rentrer dans le moule (c’est d’ailleurs sa Commission qui avait élaboré la première mouture de la directive Bolkestein). Bien sûr, on peut arguer que si les institutions européennes ne se préoccupent pas du social, c’est parce qu’elles ne sont pratiquement pas compétentes dans ce domaine. Ce qui est presque rassurant d’ailleurs, lorsqu’on voit certaines prises de positions de la Commission : par exemple lorsque celle-ci avait critiqué la loi belge limitant le nombre de PetScan dans nos hôpitaux, en soutenant qu’une solution qui laisserait les hôpitaux libres de se doter de tels appareils mais sans garantie de remboursement pour le patient serait plus conforme à la liberté de commerce et d’industrie… Lorsqu’elle se sert de ses compétences en matière économiques comme cheval de Troie pour déréguler le secteur des soins de santé, elle tombe carrément dans l’excès de zèle.

« Il faut constater, que l’Europe ne fait plus rêver », avait dit très justement Jean-Claude Juncker, alors président en exercice du Conseil européen, au lendemain du « non » français à la constitution. En effet, l’Europe libérale dont les dogmes ne sont pas remis en questions à cause de son déficit démocratique, cette Europe-là ne fait plus rêver. Ou alors seulement des gens comme José Manuel Durão Barroso...


Cet article paraîtra dans la Savatte (le journal des étudiants de l'UCL) du 11 décembre 2006

En bonus, quelques citations de l'éminent non-conférencier: "Ensemble, nous pouvons vaincre !", ou encore : "Nous devons avoir la nostalgie du futur !"

6 commentaires:

Taz a dit…

Le point de vue d'un libéral authentique sur la notion d'harmonisation : http://www.quebecoislibre.org/031011-12.htm

Ca devrait vous aider à voir un peu plus clair.

Csame a dit…

Je suis franchement impressionné par la qualité de l'article, Maxime ! C'est toi qui a fait les photos ?

Ainsi, Barroso est aussi insipide qu'il paraît ? N'a-t-il pas au moins la décence de sortir un discours bien démagogique pour rehausser la soupe (tiède) ?

Je sais que je n'aborde pas le fond, mais j'insiste en disant que je trouve que cet article est excellent, probablement le meilleur de ce blog pour l'instant. Ca fait vraiment genre "journaliste".

Xime a dit…

Merci

C'est les citations qui font pro ^^

Les photos je les ai bien évidemment piquées sur internet, par exemple celle avec Juncker c'est une photo prise au lendemain du référendum français sur la Constitution.

Cab a dit…

Bon, ben comme Loïc t'a déjà complimenté, je vais aborder le fond moi... :)

Je te sens un peu critique sur la façon de sortir du marasme dans lequel nous a plongé l'échec de la ratification de la Constitution préconisée par notre bon José-Manuel. La Constitution était un bon texte qui devait passer. Les citoyens sont trop cons pour comprendre qu'elle est dans leur intérêt ? Ben alors faisons la passer quand même sans le dire ! Je vois pas où est le mal après tout : l'UE est devenue ingouvernable sans de nouveaux processus décisionnels.

La grosse erreur est d'avoir présenté la Constitution justement comme une constitution. Ce traité n'était en rien un pas vers plus d'Europe, comme le laissait entendre son nom (d'ailleurs, la commission chargée de l'élaborer s'appelait "Convention"). Elle ne faisait que simplifier les règles de fonctionnement, refondait les traités existants en un et se voyait adjoindre un décalque de la CEDH que tous les États appliquent déjà. Alors franchement, pourquoi avoir absolument tenu à soleniser tout ça ? Sûrement que VGE a du avoir l'impression de poser son dernier acte politique fort et, en bon Français qu'il est, il n'a pas pu s'empêcher d'en faire trop.
Toujours est-il que si l'on avait pris la peine d'expliquer clairement aux gens que la Constitution n'était qu'un simple toilettage du droit déjà existant, je ne crois pas qu'on aurait même songé à organiser un référendum. De nouveau, la démagogie populiste ("C'est le peuple qui doit décider") typique de nos démocraties essoufflées l'a emporté.

Le déficit démocratique européen, c'est autre chose : c'est une absence totale de volonté des pays membres de communiquer suffisamment sur l'UE au sein de leur opinion publique. L'UE ne peut atteindre elle-même un débat public national que via les médias... nationaux ! Dès lors, les responsables du déficit démocratique sont, de façon certaine, les hommes politiques nationaux. Ainsi, l'élite politique française a enfin payé son attitude anticonstructive continuelle du "c'est la faute à Bruxelles" dès qu'il fallait prendre une mesure impopulaire. Maintenant, elle est bien obligée de prendre la peine de justifier l'intérêt de l'intégration européenne ...

Je crois qu'une fois de plus, ce traité aura prouvé à quel point dans notre société sans cesse plus complexe, le peuple est complètement largué. Dès lors, pourquoi organiser des référendums ? L'UE est technocratique parce qu'il le faut bien, et il est impossible, par conséquent, de la traduire en concepts démagogiques simples permettant à la plus large majorité de la comprendre.

Quant à l'Europe sociale, faut pas rêver... Aucun homme politique n'aura le courage d'aborder un tel sujet devant son électorat. Outre le repli identitaire nationaliste qui croît au fur et à mesure que l'Europe avance, celui-ci a tellement peur de la mondialisation qu'il croit que, puisque l'Europe est quelque chose de plus international que l'État, elle doit en être l'équivalent régional. Alors, commencer à laisser décider l'UE de ses conditions de travail, ça il est contre ! Bref, en un mot comme en cent : si l'on veut que l'Europe avance, il ne faut pas demander son avis au peuple, du moins pas avant de l'avoir doté d'une culture européenne, et celle-ci ne peut exister qu'au travers d'une longue tradition médiatique de débat sur l'Europe dont on est encore très très très loin...

logilo a dit…

Mon dieux Cab, tu es affreusement cynique. Je partage assez globalement ton avis sur l'absence total de connaissance de l'U.E. dans la majeur partie de la population de ce continent.

Cependant je pense que la crise que traverse l'Union ne peut se resumer a une question de communication. La crise me semble structurelle. La constitution n'apportait pas de reponse quant a la nature du projet europeen. Quel en est la finalite? Quelles en sont les frontieres? Quid d'une repartition definitive ou evolutive des competences? Quid d'une politique etrangere communautarisee. Le debat francais nous a montre a quel point la confusion autour de ces questions ne peut plus perdurer sans engendrer une paralysie completes des institutions.

Nous avons besoin de ce marche libre, nous avons donc des productions legislatives communes, une monnaie... Il nous reste a nous doter d'une politique economique federales dotee d'un budget consequent (renforcement d'une reelle politique de conversion industrielle...). Cela est faisable, exigeons des gens que nous allons elire de s'emparer de cette questions au plus vite.

Pour le reste, je m'en fous, je n'attends pas de l'Union qu'elle ce dote d'une armee, d'une politique culturel ou autres.
L'U.E ne sera coherente que le jour ou les europeens l'accepteront pour ce qu'elle est. Un fournisseur de service et de droit, ni plus ni moins. Nous devons cesser d'etre influence par nos voisins francais et desanchanter au plus vite le projet europeen.

Quant a la question de l'Europe social,il faut vraiment arreter avec cette "chose". Ce n'est pas la solution miracle a nos poblemes, les pays scandinaves maintiennent des niveaux de protection social superieurs au notre avec un taux de chomage faible et une politique budgetere saines. Et que dire de nos amis les anglais! Le processus de liberalisation nous astreint a une reforme permanente que nous pouvons faire au niveau nationale sans perdre de temps en courant apres ce concept flou et incantatoire qu'est l'"Europe-social".

Cab a dit…

Contrairement à toi, moi je rêve d'un État fédéral européen qui pourrait s'étendre à qui veut bien... D'accord, ça s'appellerait plus "Europe", mais bon, faudrait juste trouver un autre nom et créer un macro-groupe européen.

Je crois en ce projet parce que je crois que :
1) Il n'y a pas de meilleur système que l'économie de marché. Si vous en connaissez un plus social, plus humain, plus... ben je suis preneur :)
2) la mondialisation est à l'heure actuelle en train de mécontenter la planète entière, si ce n'est une fraction infime de grands actionnaires et PDG.
3) Dès lors, il FAUT fédérer l'Europe, pour parler au monde d'une seule voix. Quelle meilleure arme pour lutter contre les méfaits du capitalisme débridé que le marché ? il n'y a pas besoin de jouer les Che Guevara, juste demander à une multinationale si elle est prête à se priver du plus gros marché occidental au monde (450 millions de consommateurs).

Dès lors, on peut réformer la mondialisation en bottom up depuis l'UE puisque à partir du moment où on le fait en Europe, les citoyens japonnais et américains auront probablement envie des mêmes règles.

Ainsi, par exemple, moi je veux interdire toute publicité qui ne parle pas du produit vendu, empêcher à une assurance de pouvoir lâcher à tout bout de champ son assuré (ils ont une fonction sociale quand même), forcer les banques à revoir leurs conditions de crédit, doter tous les médias d'une déontologie et d'une sorte de super-conseil de l'ordre des journalistes, interdire à une entreprise de fermer une usine qui produit des bénéfices, ...
Bref, un tas de réformes qu'aucun pays ne peut prendre tout seul sous peine de faire fuir les investisseurs, alors qu'au niveau européen...

Dans ce contexte, moi je n'ai pas besoin de définition du projet européen et encore moins de limites à l'Europe car plus on sera nombreux, plus on pourra infléchir les logiques perverses de la mondialisation, auxquelles il faut remédier au plus vite car notre avenir à tous en dépend (A-t-on envie de tous travailler comme des Chinois, dans un monde ultra-pollué traversé de pluies acides, en étant continuellement épié par des (en espérant qu'il y en aura plusieurs) multinationales-monopolistiques avides de savoir ce qu'on pourrait éventuellement acheter, ...?)

Je crois à l'Europe pour son potentiel. Dès lors, la défense européenne, l'Europe sociale, ... tout ça a du sens pour moi. Et je ne veux pas d'une Europe qui ne soit que fournisseur de services et de droit. En aucun cas, cela n'assurera notre survie face à la Chine et l'Inde dans le cadre de la mondialisation. Notre population est vieillissante, et notre main d'oeuvre chère et peu productive, sans compter qu'au niveau recherche et développement, nous ne sommes nulle part. Qu'espérons-nous au juste ? Tôt au tard, si on ne fait rien, on sera relégué au rang de pays en voie de développement par les futures grandes puissances.

Mais je suis bien conscient que tout ce dont je parle est impensable à l'heure actuelle au vu des minables nationalismes qui enflent dans les États-membres et du populisme nauséabond qui va avec. À cet égard, les grands États sont extrêmement négatifs pour l'Europe. Quoi de plus énervant que de voir Chirac essayer de monnayer sans cesse de nouveaux avantages pour son pays ? ou encore Blair incapable d'instaurer l'Euro en Grande-Bretagne parce que sa population est trop eurosceptique et qu'il a décidé que le passage à celui-ci doit être décidé par référendum ? ...

Voilà :)

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